Le personnage romantique de la Reine Blanche a imprégné l’histoire, par ailleurs très riche, de Neaufles St Martin et il est utile et fort intéressant de feuilleter quelques pages d’Histoire de France avant d’entreprendre cette promenade.

La Reine Blanche

Faisons un grand bond en arrière jusqu’en l’an 1350. Philippe VI de Valois, roi de France, a succédé à son oncle Philippe le Bel en 1328. Son accession au trône est contestée par le roi d’Angleterre Edouard III et il s’ensuit une guerre qui mettra plus de cent ans avant que les Anglais ne soient boutés hors de France. Autre malheur, la terrible peste noire apparue en 1347 a emporté plus du tiers de la population européenne dont la reine de France, Jeanne de Bourgogne, et l’épouse du dauphin, le futur roi Jean le Bon qu’il convient de remarier. C’est Blanche de Navarre (ou d’Evreux) qui est choisie. Née à Pampelune, elle est la fille de la reine de Navarre, ex-prétendante au trône de France, et du comte d’Evreux. Elle a 17 ans et elle est ravissante, ce qui n’échappe pas au roi âgé de 56 ans, veuf depuis quelques semaines. Subjugué par sa beauté il décide d’un changement de programme : c’est lui qui épousera Blanche. La Reine est morte, vive la Reine ! Il est bien rare qu’un mariage royal, acte d’alliance politique, soit aussi un acte d’amour. Mais au bout de quelques mois le roi meurt, «d’épuisement amoureux», disent malicieusement les chroniqueurs de l’époque. La reine devient doublement Blanche car le blanc, couleur de deuil à la cour de France est accolé au nom des veuves des rois de France. Elle accouchera quelques mois plus tard d’une fille, Jeanne, qui mourra à l’âge de 20 ans.

Veuve du roi à 17 ans, Blanche va choisir d’habiter dans le château de Neaufles où s’établira une véritable cour royale. Elle refuse de se remarier avec le roi de Castille car, dira-t-elle, « les reines de France ne se marient point ». La gestion de son domaine est souvent qualifiée d’exemplaire. Elle rend la justice et supprime les impôts (déplorons la disparition de ce privilège). En outre elle intervient comme médiatrice dans le conflit opposant le roi Jean II le Bon son beau-fils à son frère Charles le Mauvais, roi de Navarre, marié à la fille ainée de Jean le Bon. Ces querelles de famille ont fait l’Histoire de France. Surnommée « Belle Sagesse », la Reine Blanche est restée le personnage emblématique de Neaufles St Martin. Elle figure dans la Ballade des dames du temps jadis écrite par François Villon et chantée par Georges Brassens.

Après ce bref parcours dans l’histoire de France entamons notre promenade pédestre. Elle débute à Bézu St Eloi où nous prenons la route de Neaufles qui s’abouche presque en face de la route venant de Saint Denis le Ferment. Nous passons à droite devant l’ancien moulin Saint Eloi (1) puis, à gauche, à côté de la gare désaffectée de Bézu. Après quelques mètres nous franchissons sur un pont la Lévrière (2) qui vient de s’enrichir de la Bonde. Poursuivons tout droit sur la route qui monte en décrivant une courbe vers la gauche et qui pénètre dans le bois de la tour de Neaufles. Au bout d’environ un kilomètre depuis notre départ, peu avant le sommet de la côte, prenons à gauche un chemin de terre (balisage jaune).


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Si nous avions poursuivi la route goudronnée, après avoir ensuite tourné à gauche sur la D 10 qui va de Vernon à Gisors, nous aurions pu voir en bord de route la très connue Croix Percée (3), d’inspiration celtique, datant des Templiers.


Photo 3-Croix Percée

Le chemin de terre (4) que nous empruntons offre sous ses ombrages de jolis aperçus sur la vallée de la Lévrière qui court en contrebas à gauche. Sur ses bords abondent, en mai, le cerfeuil sauvage ainsi que des touffes bleues de géranium mou (5) qui ne dépareraient pas un jardin bien fleuri. Bientôt apparait, isolé sur une butte, le donjon (6 et 7) qui reste le seul vestige de l’ancien château. Si la plupart des faits historiques le concernant sont avérés ce donjon a ses légendes. N’a-t’ il pas été dit qu’il serait relié à Gisors par un souterrain emprunté par la reine Blanche de Castille assiégée, pour fuir et revenir avec des renforts ? Au XIXème siècle un ouvrier qui explorait ce souterrain aurait aperçu à travers une grille un trésor qu’il dut vite abandonner pour échapper à un effondrement. Trésor des Templiers ou trésor de la Reine Blanche ?


Photo 4


Photo 5-Géranium mou


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Nous retrouvons le goudron sur une petite route qui descend à gauche parmi les habitations de Neaufles. En suivant le balisage jaune nous obliquons vers la droite, passons devant l’ancienne église St Pierre (8) et reprenons un chemin campagnard (9). Celui-ci nous mène à une route que nous suivons à gauche par un angle aigu et que nous quittons après quelques dizaines de mètres pour atteindre le Pont Noir sur la Lévrière bien visible en contrebas.


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Photo 9

Au pied de Neaufles la Lévrière coule paresseusement dans un paysage de paix (10, 11 et 12) qui contraste avec l’évocation de guerre que nous donnent les vestiges du château qui dominent la vallée. Ce château construit en fin du XIème siècle, en bois avant d’être en pierre, fut d’abord normand, puis français, puis anglais avant d’être à nouveau, et définitivement, français mais il fut démantelé par Henri IV et Mazarin qui se méfiaient des pouvoirs régionaux. Sa localisation témoigne de son intérêt stratégique en une zone toute proche de la frontière franco-normande de l’Epte.


Photo 10


Photo 11


Photo 12

Une centaine de mètres après avoir franchi la Lévrière sur le Pont Noir nous prenons la première route à gauche qui va rejoindre la D 14 bis reliant Bézu St Éloi à Gisors mais, une vingtaine de mètres avant cette jonction, nous la quittons pour prendre à gauche un chemin de terre (pas de balisage) longeant l’ancienne voie de chemin de fer envahie par des buissons. Des champs d’escurgeon (orge d’hiver) (13) nous séparent de la Lévrière dominée par le donjon. En cette fin du mois de mai les églantiers sont en fleurs et, en nous approchant de Bézu, le chemin devient un petit parcours botanique. Voici des résédas (14) d’un jaune si vif qu’ils étaient jadis utilisés par les teinturiers. Nous pouvons voir des silènes côtoyant des minettes. Ne nous y trompons pas : l’appellation de silène désigne un satyre bedonnant qui a donné son nom à un genre de fleurs dont le calice enflé évoque un ventre rebondi. Le silène en question, très répandu, est également appelé compagnon blanc (15). Lorsque vient la nuit, il exhale un doux parfum qui attire les papillons nocturnes pollinisateurs. Quant aux minettes (ou mignonettes) (16) ce sont des petites fleurs jaunes proches de la luzerne. Mais quelle est cette étrange fleur (17) ? Peut-être la trouverez-vous dans un coin négligé de votre jardin. Il s’agit de l’épurge ainsi nommée pour de prétendues propriétés purgatives à la base de tout traitement au temps de Molière (Primum purgare). En fait il est déconseillé de l’utiliser car elle appartient à la famille des euphorbes qui sécrètent un latex corrosif. Elle est aussi appelée herbe aux taupes qu’elle est censée éloigner.


Photo 13-Champ d'escurgeon


Photo 14-Résédas


Photo 15-Compagnons blancs


Photo 16-Minettes


Photo 17-Epurge

Retour en ce secteur floral à la mi-juin. Dans les champs d’escurgeon qui ont pris une teinte dorée sont apparus quelques rutilants coquelicots (18). Sur les bords du chemin nous sommes accueillis par de magnifiques touffes bleues de vipérines (19 et 20) dont le nom est l’une des meilleures illustrations de la théorie des signatures qui a inspiré la thérapeutique médicale durant plusieurs siècles. En effet, le fruit de cette plante est de forme triangulaire comme une tête de vipère, ses racines s’entrelacent comme un nœud de vipères et, de sa corolle, s’échappe un pistil fourchu. C’est signé : cette fleur se doit d’être efficace contre les morsures de vipère. Notons, sans commentaire, que le pistil figurant la langue de ce reptile est l’organe femelle de la fleur. Autres fleurs spectaculaires, des pois de senteur roses (21) qui ont vraisemblablement fugué d’un jardin proche. Des scabieuses bleues (22) amènent une note colorée supplémentaire. Elles étaient jadis utilisées contre la gale (scabies en latin). Une odeur aussi agréable que pénétrante nous signale la présence de fleurs de troènes communs (23). Dans la série jaune voici le mélilot officinal (24), ou, traduit du grec Melilotus, lotus à miel, qui attire les rares abeilles rescapées de leurs malheurs ; voici également le millepertuis commun (25) qui doit son appellation à la présence dans ses feuilles de minuscules zones translucides, donnant l’impression de petites perforations. Il est très recherché par les phytothérapeutes avec des applications diverses, en particulier la stimulation du système nerveux. Les pharmacologues ont remarqué qu’il avait une action réelle et traitresse, celle d’inhiber l’effet de certains médicaments, en particulier des contraceptifs oraux, ce qui pourrait être à l’origine de certains événements parfois qualifiés d’heureux.


Photo 18-Escurgeon et coquelicots


Photo 19-Vipérines


Photo 20-Vipérine


Photo 21-Pois de senteur


Photo 22-Scabieuses


Photo 23-Troëne commun


Photo 24-Mélilot officinal


Photo 25-Millepertuis commun

Nouvelle visite de cette même zone en octobre. Les vipérines conservent quelques fleurs qui restent bien colorées. De nouvelles floraisons apparues en fin d’été sont encore là. Des tanaisies (26) à longue floraison (en grec tanacetum signifie immortalité) dégagent une forte odeur aromatique. Ses bouquets chasseraient mouches, puces et mites. Elles accompagnent les linaires (27) dont le jaune vif est ponctué d’orange et des molènes noires (28) dont le calice jaune est centré par un bouquet d’étamines violettes. Elles sont encore appelées bouillon noir ou cierge maudit.


Photo 26-Tanaisie


Photo 27-Linaire


Photo 28-Molène noire

Mais octobre est surtout le mois des fruits comme l’attestent les pommes sauvages qui jonchent le chemin en certains endroits. Notre regard est attiré par les nombreux cynorhodons (29) (nom savant et plus sérieux des gratte-cul) fruits des églantiers, utilisés, non seulement par les farceurs, mais aussi par les cuisiniers qui en font d’excellentes confitures, par des prunelles bleues (30) fruits de l’épine noire, à la base d’eaux-de-vie très prisées, par les bonnets d’évêque (31) très décoratifs sur les fusains d’Europe, par les baies noires toxiques du yèble (32) à ne pas confondre avec celles du sureau noir très proche qui font de douces confitures. Enfin voici les cheveux de la Vierge ou barbe de vieillard, fruits décoratifs de la clématite des haies (33) ou herbe aux gueux dont les épaisses lianes envahissantes apportent à nos forêts une touche exotique. La teinte des feuilles de ce cornouiller (34) vient de virer au rouge et justifie son nom de sanguin. Bien que bénéficiant d’une floraison tardive il inaugure les vives couleurs de l’automne.


Photo 29-Cynorhodon


Photo 30-Epine noire et prunelles


Photo 31-Fusain d'Europe et ses bonnets d'évêque


Photo 32-Yèble


Photo 33-Clématite des haies


Photo 34-Cornouiller sanguin

Ainsi, en cette courte promenade, vous pourrez évoquer un passé historique exceptionnel dans un écrin floral coloré et diversifié.