Cette promenade peut être effectuée en toute période de l’année mais c’est fin octobre, début novembre, à l’acmé du flamboiement des couleurs automnales que notre regard sera le plus comblé.

Départ : place de l’Ancienne Verrerie (1) après le pont qui franchit la Lévrière à l’entrée du bas de Martagny. Cette verrerie se situait au 16e et au 17e siècle sur le site du château de MARTAGNY dont on peut admirer le porche monumental (2) en s’engageant de quelques mètres sur le Chemin de la Ferme. Elle était spécialisée dans la fabrication de verres dits « en plats » c’est-à-dire de vitres. Un panneau (3)  nous indique le chemin à prendre sous une couverture végétale colorée (4). Il pénètre dans la partie droite d’un vallon (5 et 6)  jadis occupé par des habitations où résidaient sabotiers et dentelières. En été les gourmands pourront faire une bonne récolte de groseilles à maquereaux sur le bord du chemin qui, après 500 mètres, tourne à gauche et traverse le vallon. Il aborde une rude montée (7 et 8) et vient buter sur une barrière de l’ONF. Du sommet de cette côte, à travers une haie de charmes, la vue est spectaculaire sur le vallon (9 et 10).


Photo 1


Photo 2


Photo 3


Photo 4


Photo 5


Photo 6


Photo 7


Photo 8


Photo 9


Photo 10

Nous contournons la barrière, tournons à gauche à angle droit et prenons un chemin bien tracé (11, 12) qui décrit une courbe vers la droite, descend légèrement au milieu des hêtres, remonte et croise une large route empierrée qui nous mènerait à droite, 1500 mètres plus loin, au rond-point du Gros Bouleau


Photo 11


Photo 12

Après un crochet de quelques mètres à gauche nous entamons une descente qui nous conduit au croisement d’une autre grande route forestière (dite du Val Erable). Le pavillon des Quatre Cantons, très prisé des pique-niqueurs, se situe à deux kilomètres à droite. Continuons  tout droit en suivant la lisière de la forêt et, après avoir grimpé un court raidillon (13), nous pénétrons dans la forêt-cathédrale ruisselante de couleurs jaunes et orangées (14 et 15).


Photo 13


Photo 14


Photo 15

200 mètres plus loin, avant de nous engager à gauche dans un chemin creux, nous pouvons voir au loin, à travers une haie, le village de Bézu-la-Forêt niché dans la forêt de Lyons (16). Ce charmant chemin creux (17) conduit au moulin de Viseneuil (18) en bordure de la D 14 que nous prenons à gauche pour revenir à MARTAGNY. De la route nous  apercevons le château de MARTAGNY qui date du18e siècle (19). Il sera bientôt caché par les arbres d’une peupleraie récemment plantée.


Photo 16-Bézu-la-Forêt


Photo 17


Photo 18-Moulin de Viseneuil


Photo 19-Château de Martagny

Peupleraies

Il peut paraître étonnant de rencontrer dans notre vallée de nombreuses peupleraies très critiquées par les écologistes :

- véritables pompes à eau (300 litres par jour et par arbre en moyenne), elles assèchent  zones humides et nappes phréatiques s’attaquant ainsi à l’indispensable biodiversité d’autant plus qu’elles sont composées de cultivars tous semblables uniformisant davantage la composition végétale des sous-bois,

  • l’enracinement de ces cultivars est médiocre, ne stabilise pas les berges et il est recommandé de respecter une distance de 5 mètres entre les premières rangées plantées et le bord de l’eau,
  • la populiculture nécessite l’utilisation d’herbicides et de produits phytosanitaires polluants,
  • les graines cotonneuses des peupliers femelles, heureusement minoritaires, peuvent être allergisantes et il convient d’éloigner les plantations des habitations,
  • les associations de pêche accusent les feuilles tombées à l’eau d’être toxiques pour les poissons et d’appauvrir l’eau en oxygène.

Quant aux esthètes des paysages, ils considèrent que, si un peuplier isolé ou en groupe peut, par la verticalité des lignes, apporter une note positive dans la silhouette paysagère, l’uniformité de ces colonnes plantées à égales distances enlève au décor paysager son caractère naturel, le transformant en une zone industrielle végétale.

Mais que planter en zone humide ?

Les forestiers préconisent pour les ripisylves (bordures boisées des rivières) la plantation ou la conservation des espèces locales nécessaires à la stabilité des berges et à la bonne santé de l’eau. Les frênes, longtemps abondants, sont actuellement décimés par une maladie parasitaire (chalarose). Il faut leur préférer les aulnes glutineux dont les nombreuses racines enserrent les berges. Son bois prend une coloration rouge lorsqu’il est fendu, on dit qu’il saigne, et son port majestueux émergeant des brumes des zones humides a donné naissance à la légende germanique de son roi, ravisseur d’enfant, qui a inspiré Goethe, Schubert et Michel Tournier. Mieux encore, les saules, taillés en têtard, font partie du paysage traditionnel normand. Dans les cavités du renflement créé par la taille s’installent et coexistent fougères, insectes, chouettes, chauve-souris et autres mammifères,  réalisant ainsi de mini écosystèmes.

Massacre à la tronçonneuse

Qu’elle était belle la Lévrière dans son parcours entre Viseneuil et Martagny, d’une beauté sauvage, enfouie dans un écrin végétal d’une exubérance telle qu’elle obligeait le promeneur à entrer en bottes dans le lit de la rivière sous une spectaculaire arche végétale (20 et 21). Se divisant en deux branches, son cours tantôt rapide, tantôt paresseux décrivant des méandres, avec, par endroits, des zones d’eau dormante, était le centre d’une oasis sauvage unique pour les promeneurs qui pouvaient suivre  ses rives depuis sa source jusqu’à sa confluence avec l’Epte. Au printemps de nombreux iris des marais et des populages (soucis d’eau) coloraient ses rives de leur floraison jaune vif. Plus remarquable, parce que rare et en voie de régression, était la présence, en fin de printemps, de la floraison, également jaune, des dorines à feuilles alternes ou cresson doré (22), plante protégée en Picardie et en Ile de France. En larges placards, elles tapissaient les berges jusqu’au contact de l’eau. C’est ce lieu qu’avait choisi Jérôme Vrel, ex-président du Syndicat de l’Epte pour illustrer ses propos sur l’intérêt des zones humides au cours d’une réunion de l’ASALF. Mais bulldozers et tronçonneuses sont venus ravager tout ce secteur, démontrant que le profit de quelques-uns peut conduire à la destruction de ces précieuses zones humides indispensables à la vie solidaire de tous les êtres vivants. Quel affront pour la beauté paysagère d’une des plus belles vallées de la Normandie ! Et quel pied de nez à la récente  loi (juillet 2016) sur la reconquête de la biodiversité ! Actuellement presque tous les arbres ont été abattus, la Lévrière disparait par endroits (23) sous la prolifération du faux-cresson de fontaine (ache nodiflore), et le sol est envahi par une végétation anarchique avec de nombreux cirses maraichers (24 et 25). Maigre consolation, appelés également cirses faux-épinard, ils sont, avec leur gout d’artichaut, un régal pour les consommateurs de plantes sauvages.


Photo 20-(mai 2009)


Photo 21-(mai 2009)


Photo 22-Dorine à feuilles alternes


Photo 23


Photo 24-Cirse maraîcher


Photo 25

Après avoir longé cette zone sinistrée et avant de rentrer à MARTAGNY continuons pendant quelques mètres sur la D14 pour aller admirer le moulin de MARTAGNY (26) récemment rénové et  transformé en mairie. Il fut construit au 1780, peut-être sur l’emplacement d’un vieux moulin à huile. C’était un moulin à grains qui fut plus tard équipé d’une turbine qui fournissait l’électricité à la ferme voisine.


Photo 26-Moulin de Martagny

Les moulins à eau de la Lévrière

Nos ancêtres n’avaient pas de pétrole mais ils avaient des moulins. L’énergie hydraulique qu’ils fournissaient avait de nombreuses applications : moulins à grains, moulins à huile (de lin), moulins à tan (par broyage d’écorce de chêne). A partir du 19e siècle cette énergie fut utilisée dans de nombreuses industries : zinc, clous, jouets, scierie... Sur son parcours de 24 kilomètres la Lévrière a compté près d’une vingtaine de moulins. Selon le droit de ban les moulins « banaux »  appartenaient aux seigneurs dont les vassaux avaient l’obligation taxée d’y apporter leurs grains. La profession de meunier était transmise de père en fils. Ils prélevaient une petite partie de leur travail, appelée mouture. Meunier tu dors? D’un œil seulement car ce métier réclamait une vigilance constante du fait des dangers de l’eau (inondations) et du feu, la farine étant très inflammable, sans compter les mains broyées dans les meules. A la fin 19e siècle les progrès de la machine à vapeur et l’augmentation considérable des besoins d’énergie sonnèrent le glas de cette profession. Les bâtiments, souvent imposants mais bénéficiant  de l’attrait d’une eau courante et vivante, devinrent, pour la plupart, des résidences de charme.  

Autres saisons, autres attraits

Si l’automne nous ravit par ses couleurs, les autres saisons ont chacune leurs attraits sur ce parcours accidenté, donc pittoresque.

Même en hiver les silhouettes épurées des arbres dépouillés de leurs feuilles ne manquent pas d’intérêt esthétique surtout lorsque la neige souligne leurs tracés, imprégnant le paysage devenu silencieux d’une poésie bien particulière. En témoignent ces quelques images prises début janvier (27 à 34).


Photo 27


Photo 28


Photo 29


Photo 30


Photo 31


Photo 32


Photo 33


Photo 34-Bézu-la-forêt

Dès le mois de mars apparaissent des fleurs dont les couleurs vont égayer notre parcours. Nombre d’entre elles ont leur histoire, souvent tirée de la mythologie, et des vertus médicinales leur sont attribuées. Malgré l’ombre des frondaisons elles sont nombreuses, en particulier dans la portion comprise entre la barrière de l’ONF et la hêtraie-cathédrale. En effet, les éclaircies  causées par les coupes de l’ONF apportent des zones de lumière tout en modifiant radicalement l’écosystème. Ainsi,  d’une année à l’autre, selon la localisation des coupes, nos rencontres florales seront différentes et renouvelleront notre intérêt. En voici quelques-unes selon leur ordre d’apparition en floraison.

Primevères et pervenches précèdent souvent le printemps. Il en est de même du lamier pourpre (35), aux feuilles consommables en salade, parfois appelé ortie rouge. En fait il appartient à une famille bien différente de celle des orties, celle des lamiacées qui tire son  nom de l’ogresse Lamia dévoreuse de nourrissons car Héra, jalouse femme de Zeus, avait assassiné les enfants que Lamia avait eus avec son dieu de mari. La corolle des fleurs de cette grande famille évoque en effet une gueule ouverte. Dés le mois d’avril les blanches anémones des bois appelées également sylvies (36) envahissent  les sous-bois, formant des nappes spectaculaires auxquelles se mêlent bientôt les nappes bleues des jacinthes des bois (37 ). Le beau Hyacinthus, prince de Sparte et nom botanique de la jacinthe, était aimé d’Apollon. Le dieu de la beauté, par un jet de disque malheureux, blessa à mort son tendre ami. Apollon n’était pas maladroit, mais il avait en Zéphyr un concurrent en amour qui, de son souffle, dévia la trajectoire du projectile. Du sang répandu, Apollon fit jaillir ces jolies petites fleurs. Ce drame inspira le premier opéra de Mozart et une cantate,  bien entendu profane, du très chrétien Jean Sébastien Bach.

A côté de ces deux fleurs-vedettes du printemps c’est le blanc qui domine avec les étoiles des stellaires holostées et les élégantes aspérules odorantes (38) dont l’odeur, lorsqu’elles sont séchées, embaumait les armoires à linge de nos grand’mères. Ces aspérules ressemblent fort au gaillet blanc (39) ou caille-lait car il contient de la présure. C’est un envahisseur de nos jardins.


Photo 35-Lamier pourpre


Photo 36-Anémones des bois


Photo 37-Jacinthes des bois et stellaires holostées


Photo 38-Aspérules odorantes


Photo 39-Gaillet blanc

C’est en mai et juin qu’il est possible de rencontrer ces fleurs mythiques que sont les orchidées :

Les orchidées, fleurs mythiques

Même si elles n’atteignent pas la beauté des orchidées tropicales, nos orchidées sauvages ont belle allure. Il en existe plus d’une centaine d’espèces en France métropolitaine. Leur renommée tient à leur morphologie. Sous leur hampe dressée se situent deux tubercules nourriciers souterrains bien séparés qui évoquent certaines parties viriles. « Duos habet et bene pendentes » dit-on parfois à Rome. Leur étymologie, très ancienne, est sans équivoque, orchis étant le terme grec pour testicule. D’après la théorie des signatures elles pourraient donc avoir les propriétés du viagra, ce qui a contribué à leur raréfaction dans certains pays. Depuis Darwin leurs amours sont célèbres : union d’une plante avec un insecte pollinisateur attiré par un appât végétal simulant la forme et même le parfum de certains insectes (bourdons, frelons ou abeilles…). Ainsi,  pour le botaniste Jean-Marie Pelt, l’orchidée fait office de poupée gonflable chez qui l’insecte dépose ses gamètes, emportant avec lui le pollen vers d’autres orchidées de la même espèce. Les insectes volants sont parfois volages et, en s’accouplant avec des orchidées d’autres espèces, des orchidées hybrides pourront naître.

Dans cette promenade il est possible d’identifier les espèces suivantes 

    • céphalanthères blanches, (40)

Photo 40-Céphalanthère blanche

    • modestes listères ovales, (41)

Photo 41-Listères ovales

    • platanthères à deux feuilles, (42)

Photo 42-Platanthère à deux feuilles

    • orchis mâles,(43)

Photo 43-Orchis mâle

    • orchis moucheron (44).

Photo 44-Orchis moucheron

D’autres orchidées se voient d’ailleurs en abondance sur les coteaux calcaires des environs de MARTAGNY.

A la même époque leur tiennent compagnie les sceaux de Salomon (45), cousins du muguet (ils ont sur leur rhizome des cicatrices circulaires rappelant des sceaux de cire), les abondants et élégants compagnons rouges (46), ainsi que des compagnons blancs avec qui ils peuvent s’hybrider pour donner des compagnons roses.


Photo 45-Sceau de Salomon


Photo 46-Compagnons rouges

Dès  juin se dressent les tiges spectaculaires des digitales (47) bientôt remplacées par les non moins rutilants lauriers de Saint Antoine ou épilobes en épi (48) qui prendront, après floraison, un aspect plumeux caractéristique (49). Plus tardivement apparaîtront les eupatoires à feuilles de chanvre (50) (elles ne se fument pas) aussi touffues mais moins colorées.


Photo 47-Digitales


Photo 48-Epilobes en épi


Photo 49-Epilobes en fruits


Photo 50-Eupatoires à feuilles de chanvre

En période estivale le sol est parsemé, voire même envahi, par les persicaires de couleur rose (51) témoins de l’humidité du sol et par les mercuriales (52) qui réalisent un couvre-sol souvent envahissant. Mercure, non content d’être le dieu des voleurs et celui des commerçants (pas d’amalgame) se piquait d’avoir des connaissances médicales et prêtait à ces mercuriales des vertus médicinales jamais prouvées. Çà et là vous pourrez humer l’odeur envoûtante de l’origan (53) (ou marjolaine sauvage) et de la matricaire odorante (54) dont les feuilles froissées dégagent une odeur d’ananas ou de camomille, selon les nez. Vous pourrez  également admirer les jolies petites centaurées (55) à qui le centaure Chiron, autre antique médicastre, attribuait bien des vertus ainsi que des galeopsis tetrahit (56) ou ortie royale rose ou blanche (une autre lamiacée confondue avec une ortie) dont la corolle évoquerait une belette au nom grec de galé.


Photo 51-Persicaires


Photo 52-Mercuriales


Photo 53-Origan


Photo 54-Matricaire odorante et lotier corniculé


Photo 55-Petites centaurées


Photo 56-Galéopsis tétrahit

Notre attention sera également attirée par de fort belles fleurs bleues jaillissant d’un épais feuillage. Il s’agit de la belladone (57) qui appartient à la fameuse famille des solanacées où se côtoient le meilleur et le pire. Le meilleur : pommes de terre, tomate, poivron, aubergine, et le pire : tabac, datura, belladone, toutes plantes toxiques. De la belladone est extraite l’atropine, dilatatrice de la pupille, mais très toxique en forte quantité. Les belles italiennes (belle donne) l’utilisaient au moyen-âge pour donner plus d’éclat à leur regard, risquant leur vie pour paraître plus belles.


Photo 57-Belladone

Ces quelques fleurs personnalisées dont la liste en ces lieux est loin d’être exhaustive, pourront ponctuer cette promenade essentiellement forestière où nous pouvons percevoir cette immense masse végétale bruissante, changeante  et vivante. Nous savons que, comme nous, elle respire et que de sa santé dépend la nôtre.