Depuis sa résidence du château de Neaufles la reine Blanche de Navarre aimait se promener le long de la Lévrière jusqu’à St Denis le Ferment. Nous avons évoqué sa vie exemplaire lors de la promenade de Neaufles St Martin. Plusieurs trajets, l’un atteignant 22 km, lui sont dédiés. Celui que nous avons choisi comporte plusieurs options qui dépendront de votre temps ou de votre forme.
Au centre de St Denis franchissons la Lévrière sur le pont de la route qui mène à Bazincourt (D 16). Après une centaine de mètres prenons à droite le chemin de la Reine Blanche (1). Le large chemin (2), début mai, est abondamment fleuri avec des touffes de stellaires holostées (3), protectrices de notre squelette (en grec, holosté = os entier). Sur notre gauche nous sommes dominés par le bois de Gisors, naguère appelé Buisson de Bleu. Les consoudes (4) sont en fleurs. Abondantes dans les lieux humides, elles enchantent nos yeux dans leur version mauve, elles sont une panacée pour les phytothérapeutes, elles régalent les palais des végétariens et elles enrichissent le sol des jardiniers par leur purin ou leur compost. Sur notre droite, bien que proche, la Lévrière n’est pas visible mais la vue d’un pêcheur près d’un étang (5) nous offre une vision de sérénité. Les pommiers sont en fleurs (6, 7) et les habitations, même récentes, sont nettement normandes (8).
Au bout d’un km environ, en un lieu appelé Gruchet (9), le chemin rejoint la Lévrière (10) que nous pouvons traverser pour retourner à St Denis. C’est la version courte de la promenade.
Si nous continuons notre chemin nous nous éloignons à nouveau de la rivière en pénétrant dans une portion boisée (11) parfois boueuse en période pluviale. Nous pouvons y rencontrer, en mai, quelques benoîtes des ruisseaux (12), petites clochettes rouge-brun, fleurs de montagne peu fréquentes en plaine et d’ailleurs protégées en Ile-de-France et en Basse-Normandie. Nous atteignons la route goudronnée qui se dirige à gauche vers Gisors en montant dans les bois et nous avons le choix entre trois options :
1ère option : franchir à droite un petit pont et atteindre et admirer, 300 mètres plus loin, le très beau moulin de Saint Paër (13) rénové en 1833 et utilisé alors comme laminoir à zinc. Étonnant spectacle que celui de la Lévrière, devenue torrent impétueux, jaillissant d’une gueule ouverte dans une façade de théâtre. Le moulin bénéficia d’un surcroit d’énergie après rehaussement d’un mètre de la chute d’eau, ce qui entraina de fréquentes inondations des prés situés en amont. De là, revenir à droite par la route à St Denis.
2ème option : continuer tout droit sur le chemin de la Reine Blanche en lisière de bois. En mai, des nappes blanches d’ail des ours (14 et 14 bis) nous offrent une vision spectaculaire tout en dégageant un parfum diversement apprécié. L’alliaire ou herbe à ail coexiste en cet endroit, elle exhale ce même parfum mais uniquement après froissement de ses feuilles. Sur notre droite des prairies où, en contrebas, court la Lévrière (15). Bien que GR, ce secteur est également fort boueux après de fortes pluies. A mi-chemin il est possible, après avoir atteint une cabane verte, de prendre à droite une large route en terre qui chemine au milieu de plusieurs bras de la Lévrière dans une zone humide dont on connaît la grande importance écologique (16, 17, 18). Cette route rejoint la départementale qui relie St Paër et Bézu St Eloi, au niveau du centre équestre de la Bonde.
Les zones humides
Marécages, tourbières, prairies humides, berges de rivières, sources, étangs et mares (ces derniers étant souvent d’origine humaine) constituent les multiples facettes des zones humides continentales. Longtemps méprisées, considérées pendant des siècles comme improductives, inutiles, voire même pernicieuses, elles ont été détruites par drainage, plantations d’arbres, comblement ou bétonnage. Elles sont pourtant, avec les nappes phréatiques qu’elles alimentent, les réservoirs d’un élément indispensable à la vie : l’eau. Eponges végétales, elles contribuent à la régularisation des flux des rivières et à la prévention des inondations. Leur destruction est régulièrement mise en cause lors d’inondations de plus en plus fréquentes. Leur végétation, en captant les polluants comme les produits phytosanitaires ou les nitrates, joue un rôle non négligeable dans l’épuration de l’eau. En outre elles génèrent des microclimats qui favorisent la présence de fleurs « montagnardes » (benoite des ruisseaux, aconit napel) rarement rencontrées en plaine.
Les zones humides sont des hauts-lieux de la BIODIVERSITE. En France, la moitié des oiseaux et un tiers des espèces animales dépendent de leur existence. L’interdépendance des espèces vivantes explique que certaines disparitions affectent la survie de nombre d’autres dont, évidemment, la nôtre. La vallée de la Lévrière est classée Zone Naturelle d’intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique type II (ZNIEFF) entre Martagny et Bézu St Eloi avec, en particulier, des « déterminants » bien précisés : espèces peu fréquentes d’étoile d’eau et de demoiselle, présence du busard St Martin. Dans cette zone est incluse une portion plus concentrée et plus homogène (ZNIEFF type I) correspondant aux Fonds de St Paër situés sur la rive droite de la Lévrière au niveau de notre promenade. Il est surprenant d’y trouver plusieurs peupleraies considérées par les écologistes comme perturbatrices des zones humides. Une autre ZNIEFF type I concerne le site de la Fontaine du Houx.
Les zones humides ont également une fonction très recherchée par le promeneur, c’est celle de l’esthétique paysagère. Vivacité des eaux courantes, sérénité des eaux dormantes, végétation foisonnante des bords de l’eau sont appréciées par tous. Par l’arrêté du 28 janvier 1983, toute la vallée de la Lévrière, depuis sa source jusqu’à sa confluence avec l’Epte, est inscrite à l’Inventaire des Sites Pittoresques de l’Eure.
Mais ne nous leurrons pas. Il apparait évident que les zones humides sont en voie de régression, voire même, en certains lieux, de disparition. Leurs deux ennemis sont bien connus : urbanisation envahissante avec ses rejets ménagers et ses décharges sauvages et extension des terres agricoles qui utilisent engrais toxiques et pesticides. Ainsi s’opposent : d’un côté les retombées économiques de ces extensions souvent soutenues par les collectivités locales, de l’autre la vague écologique dont les pouvoirs publics doivent tenir compte. D’intéressants affrontements en perspective.
Peupleraies
Il peut paraitre étonnant de rencontrer dans ces ZNIEFF plusieurs peupleraies. En effet, les écologistes reprochent à cette monoculture de contrarier la diversité végétale et d’être une véritable pompe à eau (300 litres par jour et par arbre) qui assèche les nappes phréatiques et uniformise les sous-bois. En outre, leur enracinement est médiocre, ne stabilise pas les berges et il est recommandé de respecter une distance de 5 mètres entre les premières rangées plantées et les berges des cours d’eau. Les graines cotonneuses des peupliers femelles peuvent occasionner des allergies et les plantations doivent être éloignées des habitations. Les associations de pêche accusent les feuilles tombées à l’eau d’être toxiques pour les poissons et d’appauvrir l’eau en oxygène. Quant aux esthètes des paysages ils considèrent que, si un peuplier ou un petit groupe de peupliers peut, par la verticalité de ses lignes, être bienvenu dans la silhouette paysagère, l’uniformité de ces arbres plantés à égale distance enlève au décor son caractère naturel et sauvage. Par ailleurs, la populiculture nécessite l’utilisation d’herbicides et de produits phyto-sanitaires, argument supplémentaire pour alimenter les points de désaccord entre les conceptions écologiques et les considérations économiques.
Après cette immersion en zone humide revenons à notre GR qui va quitter le couvert des arbres et rejoindre, à travers champs, Bézu-Saint-Eloi et le circuit de Neaufles Saint Martin sur lequel vous pouvez poursuivre votre promenade. Sachez qu’il s’agit alors d’une longue marche nécessitant du temps et une bonne forme physique
3ème option : monter à gauche sur la route de Gisors dans le bois du même nom où poussent dans un fossé humide de belles touffes d’ail des ours. Avant d’atteindre le sommet de la côte prenons à gauche la petite route du château de la Rapée, imposant hôtel restaurant (19) en pleine nature, entre champs et forêt. En bord de route abondent, en mai, euphorbes des bois (20), sceaux de Salomon (21) et les nappes bleues des bugles rampants (22) et des jacinthes des bois (23). La route perd ensuite son revêtement et atteint la D 16 que nous descendons à gauche en fuyant les détonations sonores d’un ball-trap. Nous dominons la vallée où se blottit Saint Denis le Ferment (24 et 25) que nous rejoignons en admirant, au passage, quelques superbes exemplaires d’orchis brûlé (26), mais aussi, dans le dernier virage, les hautes tiges de renouées du Japon (27). Cette plante fleurit joliment en fin d’été mais elle pousse souvent sur des sols pollués et elle présente un caractère dangereusement invasif.